Si «Lust In Space» n’était pas un jeu de mot aussi excessif que l’absence d’amour-propre de Dave Brockie, l’album aurait pu s’appeler Beyond Hell 2 sans problème. GWAR a simplement remplacé l’Enfer par l’espace et a gardé le côté vaguement initiatique motivé par un raz le bol existentiel, un ennemi acharné (le Cardinal Syn) et la désillusion finale d’usage provoquée ici par ce produit de première nécessité typiquement terrien dont Oderus Urungus et ses amis finissent par manquer : le crack.
En plus de tout ça, le retour chez Metal Blade ne s’entend pas - c'est-à-dire que la platitude de leur dernière sortie sur le fameux label, War Party, appartient bel et bien au passé. La plupart des acquis les plus précieux qui ont découlé de la collaboration avec Devin Townsend sont conservés : les riffs sont absolument monstrueux et les breaks écrasants, outranciers et stressants comme il faut. Brad Roberts, qui avait un peu manqué de personnalité sur Beyond Hell, se retrouve enfin à armes égales avec les autres grâce à son jeu tantôt tentaculaire, tantôt syncopé, sublimé par la production pachydermique ; Dave Brockie, égal à lui-même, n’a rien perdu de son exubérance, de sa versatilité ou de sa hargne ; la paire Derks/Smoot est toujours aussi impeccable et a même pris le soin d’ajouter quelques cordes à son arc (les breaks Fearfactoriens de "Damnation Under God", ou "Release the Flies", qui n’a rien à envier à ce que Ziltoid The Omniscient contient de plus lourd) ; Casey Orr, absent depuis l’abyssal Violence Has Arrived, a un jeu toujours aussi efficace que discret et chante le très commun "The Price of Peace"…
Car « la plupart des acquis », ça veut bien dire ce que ça veut dire. Si Lust In Space reste incroyablement punchy, jouissif et plus que satisfaisant, on y détecte tout de même un certain relâchement. "The Price of Peace", donc, révèle que Dave Brockie demeure plus que jamais le point fort du groupe (en studio, du moins) et que GWAR ne peut plus vraiment se permettre, comme à une époque, de faire appel à d’autres vocalistes (son charisme inhérent rehausse aussi le niveau d’autres morceaux un peu en dessous, comme "Make a Child Cry", dont l’intro et l’outro sont pourtant fabuleuses). Les paroles sont également moins percutantes : "Where Is Zog ?" est ce qui se rapproche le plus, avec son court sketch final, de l’aisance narrative qui avait caractérisé Beyond Hell ; et « here in metal metal land/everything is rock/every boy is in a band/every girl sucks every cock », dans le très thrash’n’roll "Metal Metal Land", est parmi ce que le chroniqueur, sans livret mais attentif, a décelé de plus abusif. Bref, il semblerait que GWAR ait misé cette fois-ci sur une approche plus « légère » du concept, tout en consolidant les aspects les plus dévastateurs de sa musique. Et au final, ça s’équilibre.
Si, selon Francis Marmande, « wikipédia est à l’encyclopédie de Diderot ce que le kiwi est à la truffe », alors Lust In Space est à son prédécesseur ce que Marc Lévy est à Dick Rivers. Autrement dit, nous tenons là le versant immédiatement jubilatoire d’un groupe qui aurait pu se permettre repousser les limites déjà franchies avec Beyond Hell plutôt que de prendre un pas de côté pour un résultat peut-être plus rythmé, mais aussi plus complaisant. Néanmoins recommandable.