Ulysse, Orphée, Freddy Kruger, Dante, Hercule et Swamp Thing l'ont fait. C'est un peu le passage obligé pour tout Héros en quête d'un sens à sa vie et à l'univers et cette fois-ci, ils sont cinq à s'y atteler en même temps. Incontinents, priapiques, armés jusqu'aux dents, celles du fond baignant dans un mélange d'alcool et de pilules mal digérées, les pupilles dilatées par le crack, les épaules et la nuque encore fumantes du feu divin qui a rasé leur forteresse de glace, c'est au tour des membres de GWAR de descendre aux Enfers.
Et c'est l'armée du Nazi Pope (sic), trop content de débarrasser la planète de ces pornocrates interstellaires assoiffés de stupéfiants et de pornographie animalière, qui les a torchés. Ce qu'il ne savait sans doute pas c'est qu'il allait les précipiter dans les affres d'un voyage initiatique riche en violence disproportionnée, en iconoclasme et en leçons de vie – Beyond Hell, donc, dont chaque morceau représente une avancée dans ce périple sulfureux au bestiaire haut en couleurs (comme Jitler : « Hitler arises, his crimes are so vast/he must merge with your Jesus/right at the ass/a new being/behold Jitler! » ("Murderer's Muse")). Mais avant tout, il est bon de noter que Devin Townsend, fan de longue date, co-produit. Qui dit Townsend à la production dit mur de son et Beyond Hell ne déroge pas à la règle tant les vingt premières secondes de "War Is All We Know" suffisent à faire oublier les deux albums précédents dans leur intégralité. Le thrash de GWAR fleure cette fois-ci le sludge et le stoner, se fait donc plus sombre, plus bourrin, plus ample, plus fou, les guitares plus moites et dodues. "Go to Hell", entre un riff principal lancinant qui n’est pas sans rappeler "Blue Garden" de Masters of Reality, un Brockie débridé et les chœurs de Townsend, reconnaissables entre milles, propose un condensé tout à fait remarquable de ce mélange enfumé, tumultueux et plein de tension.
Pour ce qui est des paroles, on a droit aux plus outrancièrement monstrueuses et évocatrices depuis au moins dix ans. Que ça soit par la remise en cause de leur toute puissance (« when I said I loved war, I lied/it fucking sucks on the losing side/and speaking of which, my face is on fire/a lightning withdrawal, we quickly retire » ("War Is All We Know")), la creation d'images à mi-chemin entre Jérome Bosch et Tex Avery (« from what I've heard, it's a pretty cool place/a sea of urine where rats eat your face » ("Go To Hell")) ou la chronique détaillée d'une philosophie du quotidien qui n'a rien à envier à celle de Max Hardcore (« soon she is dead, but before we chuck her/come on over here kid, there's still time to fuck her!/a festering hole where there used to be a crotch/we feed her to bears, all that's left is her watch » ("The Ultimate Bohab", d'une brutalité sans nom)) les textes, grâce auxquels GWAR s'extirpe de la banalité ambiante, élaborent comme jamais la trame d'un univers fascinant où tout devient possible. Leur densité et la fougue incroyable avec laquelle ils sont clamés par Dave Brockie, qui a retrouvé toute sa versatilité et cultive une agressivité jubilatoire de barde enragé, risquent de rebuter les auditeurs qui n'accordent aucune d'importance à un élément ici essentiel à l'appréciation du tout.
Car en plus de l'humour et de l'imagerie, Beyond Hell sert d'allégorie à un groupe qui brandit du mieux qu'il peut (c'est-à-dire pas toujours très bien, cf. War Party) l'étendard du choc, de la provocation et de l'insubordination et qui n'a peur de rien si ce n'est d'une baisse des ventes et de la possibilité d'un We Kill Everything bis. Et si l'épiphanie tant attendue brille par son absence, si la conclusion de ce périple au cœur des ténèbres digne d'une Horde Sauvage carburant exclusivement aux methamphétamines administrées par voie anale est d'un nihilisme extrême (« broke the gates of Hell/deposed the Overlord/took a dump on the floor/seconds later, I'm bored » ("Back In Crack")), c'est que GWAR a retrouvé le feu sacré perdu depuis leur revirement metal, cette odieuse torche phallique avec laquelle ils foutent enfin à nouveau le feu sans aucun remords à tout ce qui est Beau et Bon : il suffit d'écouter "Tormentor" et ses relents de générique de film de monstres Japonais (ce refrain !) pour se convaincre que ça y est, ils osent à nouveau. Alors ça reste encore guindé comparé à ce dont ils étaient capables à la grande époque, mais quand même (et passons sur la reprise de "School's Out" qui clôt l'album… pas désagréable, mais complètement en décalage avec le reste).
Evidemment, la question qu'on se pose tout du long est de savoir à quel point un tel degré de réussite est imputable à Devin Townsend qui ne fait « que » co-produire et discrètement prêter sa voix à trois refrains. En attendant la suite, qui devrait nous fixer à ce sujet, Beyond Hell est un album théâtral à la fois riche, drôle, violent et crépusculaire qui prouve que sous couvert de l'immaturité d'usage, Dave Brockie et GWAR, à l'instar de Lloyd Kaufman et ses films, sont beaucoup plus touchants et clairvoyants qu'il n'y paraît. En tout cas, une chose est sûre : en Enfer, tout le monde les entendra gerber.