Le décès du guitariste Denis "Piggy" d’Amour, le 26 août 2005, ne pouvait – hélas – me donner de meilleure occasion de rendre enfin hommage au formidable ovni musical qu’est Voivod. Si le thrash n’a pas produit des dizaines et des dizaines de groupes, à l’inverse d’autres styles, il faut lui reconnaître une certaine propension à marquer l’histoire métallique et à révéler des formations bourrées de talent, dont la musique bouleverse tous les standards, à l’instar de Voivod, donc, et de son thrash alambiqué et visionnaire.
Si ce discours passionné ne vous évoque rien de plus qu’une poignée de vieux albums entraperçus au fin fond d’un rayon de la FNAC, sachez que cela n’a rien de très étonnant. Voivod, comme tout bon groupe en décalage avec son époque et ses usages, n’a jamais connu le succès qu’il méritait. Et c’est vraiment dommage.
Mais ne nous emballons pas. Parler du thrash alambiqué et visionnaire de Voivod, c'est évoquer bien sûr l’âge d’or du groupe, celui de la fin des années 80 et du début des années 90, marqués au fer rouge par les albums hallucinants que furent Dimension Hatross, Nothingface et The Outer Limits (surtout The Outer Limits, que l'on peut qualifier sans hésiter de chef-d'oeuvre de la Création). Des albums emprunts d’une atmosphère si spéciale, si froide et synthétique, qu’ils vous en feraient presque oublier le chant particulier de Snake et les structures mélodiques déroutantes qu'ont imaginé le reste du quatuor. Ce Voivod là, c’était du Asimov qu’on aurait mis en musique pour ainsi dire. Enfin en 1984, année de la sortie de War and Pain, on n'y est pas du tout. En ces temps bénis où beaucoup d’entre nous apprenaient encore à ne pas pisser à côté de la cuvette, le thrash et ses futurs grands ténors, tout juste révélés pour la plupart d’entre eux par les célébrissimes compiles Metal Massacre, donnaient dans le speedé et le vicieux.
Et Voivod faisait comme tout le monde, évidemment. Cette galette fleure bon l’adolescence hargneuse, les solos mal dégrossis et la production à la truelle. L’enthousiasme des quatre jeunes Canadiens vous prend aux tripes de la première à la dernière note, écoutez donc les increvables Suck Your Bone et Warriors Of Ice pour vous en convaincre. Mais il y a autre chose, un petit plus qui donne tout son charme à War And Pain. On ressent çà et là les prémices de ce qui deviendra quelques années plus tard le style "Voivod". Des moments de flottement au tout début de la première plage, des harmonies malsaines, un break emblématique, très lourd à la toute fin de "Iron Gang", autant d’indices qui laissent penser qu’au tout début de leur carrière, Snake et ses potes avaient déjà en tête de nous faire partager leur univers de science fiction bien roots. Ouais, ça tenait à peu de choses finalement : lever le pied sur le tempo, et forcer le trait sur les harmonies branchées voie lactée, super ordinateurs et robots géants. Progressives quoi. Le mot est lâché.
Un mot enfin sur la version qui est testée ici. Il s'agit du mini coffret sorti il y a quelques temps, pour le vingtième anniversaire de War and Pain. Une version un peu chère c’est vrai, mais qui contient suffisamment de bonne came pour faire réfléchir à deux fois n’importe quel fan. Au programme: un subtil remaster de l’album original, du très, très vieux live, datant de juin 1983, trois titres issus d’une des compiles "Metal Massacre" (!!!), un autre live plus tardif comprenant les reprises du "Chemical Warfare" de Slayer et du "Witching Hour" de Venom, et pleins de bricoles, des fonds d’écran, des conneries, tout ça. Bref, l’album est déjà très bon en lui-même, sa version collector n’en est que meilleure.
War and Pain est une entrée en matière réussie pour nos canadiens, et un passage obligé pour tous ceux qui veulent s'initier à ce groupe hors du commun. Très cru - mais c'était la norme à l'époque - cet album exhale pourtant de subtiles atmosphères qui le classent d'office comme une curiosité bien différente des pétards thrash de l'époque. C'est dommage que le groupe n'ait pas su cultiver cette particularité sur leur deuxième album, Rrroooaaarrr.