Indubitablement, Voivod n'a jamais été un groupe comme les autres : punk et lourd en 1984, speed mais plus terrifiant que certains en 1986, puis un peu plus prog' entre 1987 et 1988. Et en 1989, alors que le death metal explosait et que le thrash n'eut d'autre choix que de cesser d'être un prétexte pour faire n'importe quoi ou chercher à se rendre intéressant ? Il est progressif, et n'a, en rien affecté l'imagination complètement tordue de Away, tout en logique. Pour beaucoup, ce groupe, à l'instar de Sepultura ou autres, a dû partir de très bas afin de toucher le ciel, puis rechuter, avant de retoucher les cieux du thrash progressif (The Outer Limits).
Mais à la différence des Brésiliens, Voïvod ne change pas d'esprit : toujours axé sur la science-fiction, les histoires étranges et malsaines, dignes des délires de Métal Hurlant et autres magazines louches. Parallèlement, disque par disque, les Québecois changent de style tout en conservant néanmoins une ligne cohérente, et en cela deviennent un des groupes les plus intéressants dans le genre, avec Coroner (mais là, c'est autre chose, et moins particulier). Voivod lance donc un thrash metal progressif, torturé, étrange et pourtant assez loin de la violence punk de ses débuts dès son premier morceau, "The Unknown Knows". La basse tient enfin une place de choix dans la production (et même un rôle à part, alors qu'elle soutenait la guitare dans le marteau pilon mortel des débuts), qui n'a pas oublié la particularité de nos chers Québécois, la batterie est toujours plus affûtée et les solos sont plus structurés et vicieux que jamais. Ce système, Voivod a décidé de le transformer en virus informatique destiné à pirater nos cerveaux et les rendre dépendants de la machine, merveille de précision. Même si le chant de Snake a perdu la rage palpable sur Rrröööaaarrr, il reste en adéquation avec le metal progressif qu'est devenue la musique du groupe. Certains morceaux gagnent en atmosphère, donnant l'impression d'être juste un grain de poussière dans un monde de machines ou une station spatiale entièrement automatisée.
Et la continuité avec Dimension Hatröss, à la pochette sans équivoque, est assurée. En effet, cette impression, cette ambiance d'être dans un réseau informatique, un monde futuriste et informatisé à l'extrême se ressent tout au long de l'album. La progression se fait en réalité sentir dès l'intro, ouvrant sur un monde a priori froid. Alors que War and Pain et Rrröööaaarrr ouvraient sur une guerre cyber-atomique (droits d'auteur pour ce mot !), Nothingface met fin à cette impression d'être prisonnier d'un complexe automatisé. Tandis que certains interludes en son clair (notamment sur la face B) déstabilisent encore plus l'auditeur, des parties où seule la basse est présente intriguent tandis que les riffs sont toujours aussi tordus et étranges. C'est là où l'on comprend mieux qu'à la place de la définition du mot "progression" dans le dictionnaire, on verra leur photo. Mais rassurez-vous, même si cette rage punk et cette intensité différente de l'over-speed qui était en vogue ne sont plus, cela reste metal. Écoutez donc les passages martelés et hargneux sur "Missing Sequences" ou la superbe reprise des Pink Floyd. D'ailleurs, cette chanson est si bien adaptée à l'univers de Voivod qu'on finit par en oublier le groupe de Syd Barret.
Et il y a aussi le morceau éponyme, qui enchaîne superbement les passages envoûtants et cogneurs. Cela nous rappellera même, plus tard, les Megadeth et autres thrashers assagis (sans rire, hein : un des morceaux vous rappellera l'ambiance présente sur Countdown to Exctinction), limite rock, et pouvant rebuter les extrémistes des deux premiers albums (surtout le très bon "Inner Combustion", bienvenue dans la SF hard rock années 80). Cette fois, le groupe avait visé très haut en variant les structures en arpèges ou des parties plus agressives (notamment sur le redoutable "X-Ray Mirror", et sa fin correspondant bien à l'ambiance dingue). Et puis il faut revenir sur le rôle de la basse, notamment sur le morceau "Into My Hypercube", nanti d'une impression de fausse balade avant de relancer la machine de guerre virtuelle, plus inquiétante encore qu'une version améliorée du W.O.P.R ou de HAL9000. Et bien sûr, il ne faudrait pas oublier des plans metal un peu plus classiques, ne préfigurant en rien Angel Rat, plus hard rock. Le disque s'achève, bien heavy et gardant l'ambiance cyberpunk, sur "Sub-effect". Snake réussit a conserver une certaine force dans son phrasé. Et ce, quand bien même ce chant "par les trous de nez" exigera de la part des auditeurs un temps d'adaptation qui fera reconnaître les guerriers de Korgull des autres.
Sans le savoir, il est certain que Voivod préfigure un temps où les grand du thrash proposeront un metal virtuose, tels les Seasons in The Abyss, Rust in Peace, et surtout Grin, même après l'album très abouti de Metallica, And Justice for All. Mais Voivod a(vait?) un style presque inimitable (si ce n'est par des groupes comme, actuellement, Vektor qui fait du thrash avec sa propre identité), ne donnant pas l'impression de faire à chaque fois le même album. Et il témoigne de la volonté de faire progressif sans perdre le coté féroce et tapageur du metal en général. Si vous voulez du bon thrash, avec des parties rock, cet album fera bonne place, à n'en pas douter. Pour ceux qui préfèrent ce genre de metal avec une ambiance plus heavy (mais toujours portée sur la science-fiction), The Outer Limits sera davantage recommandé . En tout cas, un indispensable pour les fans du groupe et du metal canadien de l'époque, avec D.B.C (qui sortit Universe la même année, axée aussi sur la science mais pas la fiction, disaient-ils), Slaughter ou Infernäl Mäjesty.