Vous imaginez Yngwie Malmsteen rejoindre Soulfly ? Ou Jon Bon Jovi devenant le nouveau chanteur de Napalm Death? Ou encore George « Corpsegrinder » Fisher remplaçant Tony kakko chez Sonata Arctica ? Non ? Moi non plus, ce serait comme voir un jour un bon joueur revêtir le maillot du PSG, impensable. C’est pourtant assez comparable au énième changement de line up qui bouleverse les rangs de Whitesnake en 1989.
Suite au succès retentissant de l’album 1987 qui se vend par camions entiers aux USA, la toute puissante MTV réclame des clips. Coverdale monte donc de toutes pièces un line up de poseurs pour apparaître à ses cotés dans les vidéos : Adrian Vanderberg (le seul à avoir participé à l’album, sur le solo de "Here I Go Again") et Vivian Campbell (ex Dio) aux guitares, Rudy Sarzo (ex Ozzy Osbourne et Quiet Riot) à la basse et l’excellent Tommy Aldridge (ex Ozzy également) à la batterie. Cette formation va alors partir en tournée triomphale aux quatre coins du monde, enfin surtout des Etats-Unis. Coverdale tient là une véritable dream team de ce qu’on appelle alors le ‘Hair Metal’, permanentée et poseuse comme il se doit. Pourtant à la fin de la tournée et à l’heure de s’atteler à l’écriture d’un nouvel album, Campbell est viré pour son ‘attitude négative’ (il rejoindra plus tard Def Leppard).
Pour le remplacer Coverdale s’empresse d’embaucher Steve Vai en personne, qui vient de quitter le groupe de David Lee Roth. Oui Steve Vai ! Celui là même qui a commencé sa carrière en jouant avec Frank Zappa et qui sortira par la suite nombre d’albums solo instrumentaux faisant fantasmer tous les apprentis guitaristes… Difficile de trouver un univers plus éloignés de celui du Serpent Blanc quelques années auparavant : du blues rock graisseux, joué par des anglais bedonnant et dégarnis... euh se souciant peu de leur look, loin d’être des virtuoses mais jouant avec leur cœur ce blues qui vient des tripes. Cette fois c’est sur : Whitesnake a complètement et définitivement tiré un trait sur son passé. Lorsque Vai entre en scène, le nouvel album a déjà été entièrement écrit par Coverdale et Vanderberg. Cependant, victime d’une vilaine blessure à la main le guitariste Hollandais ne peut tenir son rôle en studio, c’est donc Vai qui va enregistrer seul toutes les parties de guitare sur ce disque au son typique des années 80.
Que dire du résultat ? L’album commence par son title track introduit par des claviers tellement typés 80’s qu’ils devaient déjà sonner kitch à l’époque, Coverdale s’époumone en vain, Aldridge envoie un peu de double grosse caisse, Vai place quelques acrobaties guitaristiques là où il peut… "Cheap An’ Nasty" suit et il ne se passe toujours rien. Ces deux morceaux sont d’une banalité effarante, ni accrocheurs, ni entrainants, ni particulièrement mélodiques, et ne dégagent aucune émotion. On n’a même pas droit à un refrain sucré voire putassier mais qu’on ne peut s’empêcher de chantonner bêtement toute la journée le sourire aux lèvres… Aïe aïe aïe ça commence mal ! Cette sensation va malheureusement se reproduire sur d’autres morceaux comme le fade "Wings Of The Storm" sur lequel Vai en fait des caisses, ou le carrément mauvais "Slow Poke Music" aux paroles indignes de Coverdale. Celui-ci livre par ailleurs une performance assez décevante en restant la plupart du temps cantonné dans un registre aigue et crié assez agaçant, délaissant son chant plus grave pourtant si porteur d’émotions.
Heureusement tout l’album n’est pas à l’avenant, il reste quelques titres plutôt agréables, même si on est encore loin de l’érection. L’énergique mais répétitif "Kittens Got Claws" pourrait entrer dans cette catégorie, tout comme les morceaux les plus commerciaux de l’album, bizarrement. L’efficace "Now You’re Gone" fera ainsi un très bon single, alors que la ballade "The Deeper The Love", toute sirupeuse qu’elle soit, atteint son but et fait presque figure de nouveau "Is This Love". En reprenant le classique "Fool For Your Loving" (tiré de Ready An’ Willing) le groupe a voulu refaire le coup des réenregistrements magistraux de "Here I Go Again" et "Crying In The Rain" sur l’opus précédent, mais le résultat s’avère beaucoup moins convaincant. Le jeu flashy de Vai et celui assez lourdaud d’Aldridge font vomir les puristes (mon dieu ce solo de guitare!), mais la qualité de cette composition est telle qu’elle contraste par rapport à la platitude qui l’entoure.
Quant à ce "Sailing Ships" semi-acoustique qui clôt le disque, il est malheureusement en partie gâché par des arrangements un peu lourds qui nuisent à sa simplicité et par une deuxième partie totalement inutile. Dommage, les mélodies et les paroles étaient pour une fois magnifiques et Coverdale avait retrouvé un peu de sobriété et de classe dans son chant… Sobriété et classe, voila les mots qui décrivent le mieux la seule véritable perle de l’album. Alors qu’on ne s’y attendait plus déboule en effet un classique : le sublime "Judgement Day" au lyrisme inédit pour le groupe sur lequel Vai n’est pas hors sujet et où Coverdale nous file enfin des frissons. Ouf l’honneur est sauf ! Cette compo est d’ailleurs la seule que le groupe continue à jouer aujourd’hui encore sur scène. Il est à noter que Glenn Hughes est crédité sur l’album pour des parties de chant (chœurs ?) mais qu’il est totalement inaudible.
On se retrouve donc avec un Slip Of The Tongue très décevant, certainement le moins bon album du groupe, sur lequel la volonté de réussir à tout prix a pris le pas sur toute ambition artistique et n’est plus compensée par une écriture efficace ni par une performance supérieure des musiciens comme c’était le cas auparavant. L’erreur de casting que constitue le recrutement de Steve Vai n’est pourtant pas la cause principale de cet échec, qui est plus à chercher au niveau des compositions d’Adrian Vandenberg (n’est pas John Sykes qui veut !). Après la tournée Coverdale fera prendre une très longue pause au groupe, qui ne se reformera réellement que bien des années plus tard.