Dans le documentaire Come Rain or Shine fourni dans ce DVD, on peut apercevoir Ahmet Ertegun* quelques mois avant sa mort, rendant une visite à la bande à Banks dans leur studio de répétition, pour les féliciter : « Vous avez eu une longue et formidable histoire vous trois, et quand les gens vont vous revoir, ça va être… oh boy ! » Ah, s’il avait su quel autre groupe jouerait en son honneur un an plus tard…
C’est dur à dire, mais comme l’indique implicitement l'introduction, dans le flot de reformations de ces dernières années, celle de Genesis n’apparaît pas comme la plus pertinente. Outre le « plaisir de jouer à nouveau ensemble » (pour les plus fans) ou la nécessité de relever les compteurs (pour les plus cyniques), quel a été l’élément motivant pour remettre sur pied cette tournée colossale de 40 dates dans des stades à dimension inhumaine, et dont ce concert gratuit, à Rome, en est l’apex (1/2 million de personnes présentes) ? Eux non plus n’ont pas trouvé la réponse, se dit-on au bout de quelques minutes de visionnage, tant le spectacle proposé s’avère… mortifère. Ah, c’est bien beau d’avoir monté une scène de 65 mètres de long avec écran super-géant si c’est pour offrir autant d’ambiance qu’au petit Conservatoire de Mireille… même Collins, showman-né, donne l’impression de se faire chier royalement sur le medley introductif et "Turn It On Again", un comble !
Et si Phil se réveille assez rapidement, il faudra beaucoup plus de temps au reste du groupe pour décoller… "No Son of Mine" est interprétée de manière poussive et sans la flamboyance qui la magnifie, et quand même le catchy "Land of Confusion" est joué superficiellement on se dit qu’on court à la catastrophe. Heureusement, le medley oldies construit autour d’"In The Cage" commencera à réveiller nos ardeurs, avant de se prendre en pleine face le second effet Kiss Cool du show : Banks serait-il devenu sourd ? Où a-t-il été nous chercher ces sons de claviers Prisunic qui enlèvent une grande part de leur majesté aux envolées de "Cinema Show", "Duke’s Travels", et j’en passe ? Même la tournée We Can’t Dance ne souffrait pas de cet écueil ! On prend donc son mal en patience jusqu’à ce que l’affaire se conclue par une sublime version d’"Afterglow", tout en lyrisme et fragilité, et là, silencieusement, la flamme du fan brûle à nouveau…
… et la suite du concert continuera sur cette même voie inégale : d’excellents moments ("I Know What I Like" avec un Phil enfin en forme olympique ; "Home By The Sea"…) côtoient des ratages (le pénible "Hold On My Heart", l’actualisation plantée de "Ripples") suivis par d’autres interprétations en demi-teinte ("Firth of Fifth" encore joué à la sauce heavy-metal ; un "Mama" moins fiévreux que d’habitude) et si on n’en ressort pas écœuré, à aucun moment la sauce n’aura pris suffisamment pour qu’on passe du concert sympathique à la grande performance. Alors oui, les choses vont en s’améliorant la soirée allant, Stuermer et Rutherford finissent par se lâcher, le light-show, trop timoré au début, prend peu à peu de l’ampleur, et oui, c’est formidable d’avoir joué "Los Endos" et "Carpet Crawlers", mais une fois passées les 2h30 de ce concert, il est impossible de se départir de l’impression que le groupe est devenu « trop vieux pour ça » et que si le cœur y est peut-être encore, l’énergie et la niaque, elles, ont disparu. Alors pourquoi s’être embarqué dans une tournée des stades ?
Le documentaire du 3ème DVD, Come Rain or Shine donc, s’applique à nous donner des éléments de réponse. On y suit le quotidien du groupe depuis les premières répétitions en octobre 2006 jusqu’au concert à Rome moins d’un an plus tard, en passant par les préparatifs de tournée qui vont bien. La première moitié est particulièrement intéressante : on y voit un groupe de potes prenant plaisir à se retrouver et qui, lentement mais sûrement – et à l’aide de managers et directeurs artistiques qui ont senti le bon filon – se retrouve à faire la tournée des Grands Ducs alors qu’ils avaient à l’origine des projets plus modestes. On voit aussi, et surtout, un trio techniquement à la ramasse sur les répétitions, au grand désespoir des requins Stuermer et Thompson qui, eux, n’ont pas oublié de travailler chaque soir leur instrument pendant quinze ans… cette perspective humaine du groupe a de quoi ravir l’amateur, dommage alors que la seconde partie se concentre sur les problèmes technico-spectaculaires liés à la mise en scène des concerts, car sur la fin on sent vraiment le message moins subliminal tu meurs : « ouais, on sait, on vous a offert un magnifique spectacle, mais croyez pas : on en a chié pour en arriver là ! ». Et après ?
Alors maintenant que Genesis ne s’adresse plus qu’à une – très large – poignée d’admirateurs, l’heure du verdict à sonné : ne craignez rien, mes fanatiques, vous l’aurez votre gros moment de nostalgie, avec le son qui va bien et une image correcte ; si vous êtes sages vous pourrez même entendre Tony Banks faire de l’humour (il faut le voir pour le croire) et Collins s’essayer au nunchaku. De la nostalgie en barre, oui, mais n’en attendez pas beaucoup plus… mais de toute façon, vous n'aviez pas d'attentes exceptionnelles, si ?
* Fondateur du Label Atlantic et grand gourou du monde musical dans les années 60 et 70. La légende veut qu’il soit responsable de l’inclusion de "Who Dunnit?" sur Abacab…