L'année 1983 marque un tournant décisif dans le monde du rock progressif avec la fin définitive du règne des dinosaures du genre (Genesis, Yes, King Crimson encore en vie et ELP déjà mort et enterré) et l'émergence de jeunes loups comptant bien assurer la relève (Marillion, IQ, Pendragon). Conscients de ne plus être capables de délivrer encore et encore des albums progressif de haute volée, les vieux de la veille ont préféré virer leur cuti, avec plus ou moins de réussite selon les cas.
Difficile également de résister à l'appel du grand public et des radios, et d'ailleurs, dans le cas Genesis, plusieurs tentatives dans ce style ont déjà été effectuées depuis belle lurette notamment avec les catastrophiques And Then They Were Three... et Abacab. Ces deux albums contenaient encore quelques relents prog' alors que sur ce Genesis éponyme, le groupe laisse tomber définitivement le progresif au profit d'une musique pop rock calibré FM. Et franchement, c'est pas plus mal, Genesis (l'album) a le mérite d'être plus convaincant et bien moins chiant que les deux albums précités, mais il est loin d'arriver à la cheville d'un Duke. Nous voilà parti pour un p'tit track by track des familles :
"Mama" : gros hit, avec pourtant une atmosphère oppressante peu propice à faire un tube... mais ça a quand même fait un tube, sûrement gare à ce p'tit coté new-wave avec la boite à rythme et les claviers ! Pas de refrain à reprendre en choeur ici, c'est essentiellement basé sur la prestation féroce de Phil Collins, lequel assure comme pas deux au micro. C'est simple, c'est sa meilleure performance vocale dans Genesis. "That's All" : "Mama" faisait figure de bombe atomique sur ce disque, mais les autres chansons n'ont rien à voir, elles sont beaucoup plus pop et gentillettes, comme ce "That's All" sympathique ma foi, avec un Phil Collins toujours très en verve.
"Home By The Sea" : peut-être le moment le plus prog de l'album, avec des mélodies estampillées Phil Collins, ce dernier ayant de plus en plus tendance à confondre sa carrière solo avec celle de Genesis. Et la star sur ce disque, c'est bien lui. "Second Home By The Sea" : suite de "Home By The Sea", avec un long passage instrumental où Tony Banks nous fait péter les gros synthés ! Je sais pas vous, mais moi, j'ai vraiment horreur de ça, de, c'est ridiculement kitsch et grossier. Et puis, c'est quoi cette boite à rythme derrière ? Horrible ! "Illegal Alien" : une p'tite pop song joyeuse et rythmée, mais surtout incroyablement niaise, le refrain surtout et le chant "gringo" de Collins qui fait bien pitié. Y'a bien que le passage instrumental à sauver.
"Taking It All Too Hard" : une ballade agréable, surtout comparée aux merdes qu'a pu nous pondre Phil Collins en solo ou avec Genesis, celle-ci fait quasi office de chef-d'oeuvre à coté. "Just A Job To Do" : à mon avis, un des grands moments de ce disque, très entraînant, avec des guitares un peu style "K2000", des claviers très rock un peu à la Deep Purple, un groove irrésistible où maître Collins nous rappelle qu'il reste un putain de batteur et un refrain hargneux au possible. Sur ce titre, Genesis réussit à rendre très expressif ce qui aurait pu être à la base un banal pastiche d'une BO de feuilletons policiers des années 80.
"Silver Rainbow" : très belle intro, avec chant écorché et nappe de claviers néo-prog dans l'ame. Mais une fois que le morceau décolle, les choses se gâtent, avec l'apparition des synthés et de la boite à rythme qui effectue d'affreux beats à mi-chemin entre le disco et la dance-music qui en était à ses premiers balbutiement à l'époque. Et puis, y'a les synthés insupportables de Tony Banks, à fuir. "It's Gonna Get Better" : une dernière pop song pour finir, légère, pas mauvaise en soit, mais rien de mémorable. On voit que Genesis ne s'est pas tellement foulé puisque ce morceau aurait pu être plus abouti et un peu moins tourner à vide. Ça s'étend éternellement sur couplet-refrain, couplet-refrain...
L'avantage de cet album est de présenter un Genesis dynamique, qui ne se prend pas la tète. Les mélodies de Phil Collins se rapprochent parfois de ce qu'il fait en solo, l'entité Genesis ne réussit pas toujours à éviter de sombrer dans la facilité, mais elle parvient à faire passer quelques bons moments à l'auditeur dans son ensemble et malgré quelques titres merdiques. L'album aurait toutefois gagné à être plus consistant et plus abouti, on ne peut pas s'empêcher de penser qu'il a été bâclé. La même année Yes sortait 90125, un album autrement mieux foutu et travaillé.