Si l’on vous dit « progressif », quel est le premier groupe qui vous vient à l'esprit? Yes ? Oui, pourquoi pas... King Crimson ? Oui, ils en furent les précurseurs... A.C.T ? Comment tu vas Blackmore ? :-) Et moi? Genesis, encore et toujours Genesis. Peut-être parce que c’est le premier groupe de rock progressif que j’ai connu, mais surtout parce que, selon moi, ils s’agit du plus grand groupe du genre. Par le plus représentatif, non : le meilleur.
Parce que, contrairement à Yes ou à ELP, l’aspect technique des compositions ne primait pas sur l’aspect mélodique. Ils n’étaient pas là pour nous épater : ils étaient là pour nous émouvoir. Nous faire vibrer. Tony Banks, par exemple, ne possédait pas la virtuosité d’un Rick Wakeman : mais ce dernier nous affublait parfois de solos kitschissimes aux sonorités épouvantables, alors que Banks n’en faisait jamais trop, et restait toujours en adéquation avec la musique. Peut-être est-ce pour cela que les albums de Genesis ont mieux résisté à l’usure du temps...
Toutefois, l’Histoire de Genesis ne commence pas avec Trespass : non, elle démarre 3 ans plus tôt, au collège de Charterhouse en Grande-Bretagne, lorsque deux groupes, The Anon et Garden Wall, joignent leurs forces et, afin de percer, envoient une démo au «producteur» Jonathan King, qui, très impressionné, leur trouve un nom (Genesis... bah oui) leur propose un contrat avec Decca Records. En résultera deux singles en 1968, plus un album en 1969, From Genesis to Revelation, collection de pop-songs gentillettes joyeusement plombées à grands renforts de violons niaiseux par notre ami Jonathan King (qui, comble de l’arrivisme, s’approprie aujourd’hui la « paternité » du groupe). Problème : le nom Genesis étant déjà pris par un groupe américain, l’album est titré sans nom d’artiste... et se retrouve dans les bacs de musiques religieuses ! Bon plan, Jonathan, bon plan...
Evidemment, les ventes sont minimes, mais nos gars ne comptent pas en rester là... ils se remettent au boulot et, très vite, sont signés sur Charisma, la label de Tony Stratton-Smith. Entre temps, le groupe a joué dans pas mal de clubs, les pop-songs ont pris de l’ampleur ainsi qu'une orientation plus « progressive » déterminante pour leurs oeuvres futures. Fruit de ces nouvelles expériences, Trespass est publié en novembre 1970. C’est l’œuvre d’un groupe encore jeune, peu assuré, qui, pénalisé par son manque de technique, va se concentrer sur le raffinement, sur l beauté des mélodies et des harmonies.
En témoigne la voix de Gabriel, encore fragile, hésitante, mais qui n’en est que plus touchante. Qu’il nous susurre une drôle d’histoire ou qu’il implore: « Leave me ! Leave me ! », il fait des merveilles. Les autres en sont conscients, et mettent son bel organe (mmh...) en valeur sur la majorité des titres. Dans "White Mountain" et son ambiance « Tolkienesque » enchanteresse, il déclame avec emphase le récit d’un peuple-loup légendaire ; mais surtout sur "Visions of Angels" : démarrant par le genre de motif niais au piano qui a tendance à m’énerver, son chant à la fois doux et plantif permet au titre de s’envoler vers des cieux d’une beauté et d’une sensibilité qui ne vous laisseront pas indemne. Oh, bien sûr, certains trouveront ça cucul-la-praline, trop gnangnan. Moi, je trouve ça sublime. Il faut dire que Gabriel n’est pas le seul responsable : Phillips et Rutherford, tissant leurs accords avec légèreté et subtilité, contribuent grandement à cette atmosphère lyrique. Tandis que Banks, de son orgue imposant, ajoute un côté grandiloquent dans les passages instrumentaux, qui n’est pas pour me déplaire... instrumentaux, qui malheureusement, manquent parfois de pertinence, comme pour le final de "Looking For Someone", agréable à l’oreille, mais qui ne mène véritablement nulle part.
Mais ceci n’est rien, comparé au véritable problème du groupe. Car il y en a un, un gros même, et il porte un nom : John Mayhew, batteur de son état. Ah, les roulements, il sait faire... les breaks, ça passe... mais alors, que son jeu est lourdaud... comparé à la vivacité et la subtilité d’un Collins, ça ne vaut pas tripette. Et ce problème est bien plus grave qu’on ne le pense : car il empêche à Genesis d’atteindre l’excellence, la maîtrise parfaite de son art. En témoigne "The Knife" ; car si ce titre reste un classique, il suffit néanmoins de comparer la version ici présente et celle du live de 73, avec Collins, pour comprendre... l’énergie et la hargne de la seconde version manquent cruellement à la première, et pénalisent le titre... heureusement que les autres membres sont là pour sauver la mise, surtout Rutherford et sa basse menaçante, faisant malgré tout de "The Knife" le grand moment de l’album.
Reste un disque très plaisant à écouter, qui comporte son lot de grands moments, et dont la note est à placer dans l’ensemble d’une carrière (formidable, on s’en doute). Coup du hasard, peu de temps après la sortie, Phillips et Mayhew décident de quitter le groupe, l’un pour cause de trac paralysant, l’autre pour raisons personnelles... deux places vacantes... deux pièces essentielles de l’histoire de Genesis vont entrer en jeu... les présentations au prochain numéro...