Taaaaaaaaaa Taaaaaaaaaa... Taaaaaaaaaa Taaaaaaaaaa... Taaaaaaaaa Taaaaaaaaaa Taaaaaaaaaa Taaaaaaaaaa... Quoi ? Vous n’avez pas reconnu l’intro de "Watcher of Skies" ? Cette intro mythique au Mellotron qui ouvre Foxtrot, pour un des titres emblématiques de l’ère progressive de Genesis ! Et un des rares à avoir été joué live avant d’être enregistré sur disque... Justement, parlons de cette tournée qui suivit Nursery Cryme, en 1972, et qui fut cruciale à plus d’un titre... d’abord, bien plus que l’album lui-même (dont les ventes ne furent pas exceptionnelles) elle apporta au groupe la reconnaissance dans le milieu progressif, notamment en Italie, à l’époque très attachée au genre.
Mais surtout, elle vit naître un élément fondamental dans la mise en scène de leurs concerts : les déguisements... ça lui prend comme ça, Gabriel, un soir, alors que le groupe interprète "The Return of the Giant Hogweed", il part vers les loges, sans prèvenir, pour revenir affublé d’une robe rouge et... d’un masque de renard (oui oui ! comme sur la pochette de Foxtrot !). Plus tard viendront le masque de vieillard pour "The Musical Box", les Batwings pour "Watcher of the Skies", le masque de fleur pour "Supper’s Ready"... aussi pratique pour l’aspect théâtral que pour Gabriel lui-même, car il n’est plus directement confronté au public et peut ainsi extérioriser ses émotions sans crainte ! Même si quelques mauvaises langues prétendent qu’il voulait ainsi se démarquer du reste du groupe, et en prendre le contrôle... chose complètement absurde, on le verra plus tard.
Pour l’instant, concentrons-nous sur le « présent » et sur ce Foxtrot, que je qualifierais comme « l’album de l’affirmation » (ne me parlez pas de « maturité » !). En effet, ici pas de virage à 180°, on prend les éléments qui ont fait le bonheur de Nursery Cryme et on recommence... en mieux ! Et en plus maîtrisé. Seule la noirceur a été un peu laissée de côté, et la hargne se fait moins ressentir, ce qui fait que certains pourront trouver le disque plus « daté » que son prédécesseur ! Oh oui, il y a bien quelques arrangements qui ont subi l’usure du temps... mais ce qui nous intéresse, ce sont les compositions en elles-mêmes, n’est-ce pas ?
Eh bien, vous allez être gâtés : d’abord, ce fameux "Watcher of the Skies", qui voit Genesis quitter les comptines de la vieille Angleterre pour plonger dans la science-fiction, et avec brio ! L’intro donc, puis les cymbales se mettent en place, et le tout s’emballe : Tiin ! Tiin ! « Watcher of the skies Watcher of all ! » Constat sans appel : ils sont toujours aussi forts, ces gaillards. Redoutables. Hackett est moins présent sur ce disque, mais fait mouche à tous les coups, ne se perd jamais en bavardages stériles : mais après tout, pourquoi désignes-je seulement Hackett en ces termes, puisque c’est le cas de tous ici ? Tous à leur place, tous pour la musique, et pas pour faire son show. Quoi ? Des extravagances ? Ah, monsieur, c’est le progressif, quand même ! Il en faut bien ; et puis, quand c’est si bien fait...« Watcher... » vous paraîtra sans doute moins accrocheur que ne l’était le Géant Hogweed ou « Fountain... » mais je n’ai JAMAIS réussi à me lasser de ce titre. Tout est si bien amené, si bien construit... voici un classique du progressif, une de ses figures emblématiques, et même s’il me parle moins que "Firth of Fifth" ou d’autres, je suis conscient de sa qualité...
Encore de la SF ? Par ici je vous prie : "Get ‘Em Out By Friday", fable délirante et satirique sur les problèmes de logement en Angleterre et les manipulations génétiques... avec un Peter Gabriel en maître de cérémonie déjanté, qui nous fait réellement croire à cette histoire pourtant farfelue... on aurait presque les jetons lorsqu’il annonce d’une voix inhumaine : « It is my sad duty to inform you of a 4 feet restriction on humanoid height ! » Des réminiscences de « Return of the Giant Hogweed » mais ici moins énergique, plus posé... privilégiant les instants de silence angoissants... quelques-uns diront que ça se perd un peu en milieu de chemin, moi je trouve ça très maîtrisé.
Avant de s’attaquer au gros morceau du disque, parlons un peu des morceaux plus courts : "Time Table", rapport avec la Table Ronde ? Je ne saurais vous le dire, mais on est bien ici dans un contexte médiéval... et ça se sent à travers la musique... je ne sais comment... peut-être la guitare, ou le chant de Gabriel (encore !) Pièce en tout cas très raffinée, charmante, et qui mérite qu’on s’y attarde. "Can-Utility and the Coastliners", condensé du progressif, avec changements de structures, ponts délirants, final dantesque... tout ça en moins de 6 minutes ! Pas sérieux ? Trop brouillon ? Bon allez, disons que c’est le morceau le moins intéressant du disque... mais ça veut dire quoi, ça ? Que ça reste un bon p’tit titre jouissif, enfantin, et donc plus qu’écoutable !
Passons sur "Horizons", plaisante interlude hackettienne reprenant le thème du Prélude de la Suite pour Violoncelle N°1 de Bach, pour débarquer sur THE titre, THE pièce de résistance de l’œuvre Genesienne : "Supper’s Ready", qui, disons-le sans crainte, est un monument. De ces 23 minutes, absolument RIEN n’est à jeter, tout se prend, tout se digère, avec un peu de mal au début certes, mais les efforts que vous y mettrez seront justement récompensés. Que trouve-t-on dans ce titre ? C’est bien simple : Tout. Tout ce qui a fait et ce qui fera Genesis pour encore quelques années : mélancolie, excentricité, emphase, burlesque, grandiloquence, tension, beauté, pureté, onirisme... tout se mélange, y compris au niveau des textes... je ne me risque pas à une interprétation, il y aurait tellement à dire de toute façon !
Plutôt que d’essayer de comprendre, laissons-nous emporter... laissons nos 5 compères nous emmener loin d’ici... sur le front de la guerre, la fleur au fusil, et marchons à la cadence des tambours... puis dans une ferme étrange, là où les fleurs parlent, contrée où l’absurde est roi... méfions-nous du cavalier de l’Apocalypse, alors que les sept trompettes résonnent dans les ténèbres... et admirons le retour du Roi rentrant à Jérusalem, alors que le voyage se termine... Ouf... Et vous aurez alors compris que ces 23 minutes seules valent l’achat du disque, et méritent qu’on se l’écoute encore et encore... et encore... Le meilleur reste à venir, mais je n’ai plus le temps de vous en parler : on m’appelle pour le souper...