Ah, voilà qui est mieux ! Bien mieux même ! Ce que Genesis avait partiellement échoué sur And Then They Were Three... va se révéler accompli sur Duke : rendre son propos plus accessible, plus accrocheur, plus « pop » (mais pas trop) tout en gardant une certaine sensibilité prog qui rassurera autant les vieux fans autant qu’eux-mêmes : pas l’impression d’y perdre son âme au final... Et ici, c’est impression n’est pas trompeuse : Duke est bel et bien un très bon album, bien que ne procurant pas le même frisson qu’un The Lamb Lies Down On Broadway ou un Selling England By The Pound ; mais cela n’était pas leur ambition. Non, ils cherchent plus ici à réunir musiques pop et progressive, pas si éloignées que ça, quand on y pense.
Mais plutôt que de les opposer ou les faire cohabiter maladroitement, ou encore de se baser sur les mauvais aspects de chacun, comme on pouvait l’entendre parfois sur ...And Then They Were Three..., ils vont ici les fusionner, pour un résultat... plus que convaincant, oh oui ! Aaah... je vous sens perplexe là. Pourtant, il vous suffirait d’écouter "Behind The Lines", et vous comprendriez. Parce que cette ouverture, sans conteste le sommet de l’album, remet les choses en place en un peu plus de cinq minutes : Genesis est vivant, et en plus de ça, une pêche d’enfer ! Y a tout dans ce titre: une intro étirée, merveilleuses apparitions furtives de la guitare de Rutherford, et même un p’tit break à la flûte !
Et après ça on enchaîne sur le thème principal, superbe ; le chant de Collins est encore plus assuré qu’auparavant, ses intonations changent ; immense batteur, il sera bientôt grand chanteur. Banks est omniprésent, et il nous régale ; bien sûr, ses sonorités ont changé, plus typées ‘80, mais j’ai rien contre ! Encore un p’tit break par là, puis reprise du thème... on a bien l’impression d’écouter du prog... sauf que ce n’en est pas. Ou que ça n’y ressemble pas. C’est tout aussi recherché et merveilleux, mais ça se paie aussi le luxe d’être évident... très fort.
On enchaîne sans interruption sur "Duchess", qui dérive encore plus vers le prog ; la première fois que je l’ai entendue, j’ai pensé au Genesis ’70 ! L’intro y est pour beaucoup : longue et atmosphérique, presque minimaliste, claviers appelant à la rêverie... et cette teinte est développée tout au long du morceau : quoi de plus normal pour un titre nous racontant les illusions (et les désillusions qui en découlent) d’une star adulée puis vouée à l’oubli... pensez-y, Miles. Badi et Bartoli ! Petite interlude mélancolique avec "Guide Vocal", et l’histoire se poursuit avec "Turn It On Again", morceau pop-rock par excellence... et ça marche, en plus ! Oui, bien sûr, il ne faut pas être dégoûté par tout ce qui est estampillé « années 80 »... si ce n’est pas le cas, vous risquez de prendre votre pied ! C’est tout con, mais ça pulse, c’est énergique, que demander de plus ?
Et attendez, on vous a réservé le meilleur pour la fin de l’histoire : "Duke’s Travels - Duke’s End", suite quasi-instrumentale de près de 12 minutes... qui rivalise sans problème avec les "Los Endos", "Unquiet Slumbers... In That Quiet Earth", dont elle reprend d’ailleurs l’intro, vaporeuse et atmosphérique... sauf qu’ici, on a un peu l’impression de faire un voyage autour du monde ; des percussions africaines, des claviers orientaux, avant d’arriver aux sommets de montagnes, où le thème de « Guide Vocal » refait surface pour nous conduire à l’apothéose, grand fracas d’instrumentaux vers les cieux, avant de redescendre tranquillement... quand je vous disais que Duke était un très bon disque!
Alors certains me feront remarquer que je n’ai pas suivi l’ordre des titres ; c’est parce que tous ces titres formaient à la base une suite de près de 30 minutes (et jouée ainsi en live) ; mais aussi parce que c’est là que l’on trouve les meilleurs moments. Le reste ? On oscille entre le très bon et... le mauvais. Bah oui, c’est maintenant une habitude chez Genesis, tout album comportera son lot de niaiseries. Débarrassons-nous en tout de suite : "Alone Tonight", avec bien sûr les éléments cul-cul et prévisibles qui font toutes les guimauves ratées; "Please Don’t Ask" est encore pire : on s’ennuie ferme, et cette guitare people, très « fashion » en cette année 80 est franchement honteuse. Enfin, suffit de zapper... "Cul-De-Sac" se plante un peu aussi, si l’on excepte l’intro de Banks, toute pure et innocente qu’elle est ! On retrouve le même cas de figure que pour l’album précédent ; une cohabitation pop-prog plutôt ratée.
Mais ne vous inquiétez pas : on repasse au niveau supérieur avec les morceaux suivants ! "Heathaze" est tout simplement sublime. Certes, on frôle la facilité à certains moments, mais la mélodie au piano est si merveilleusement triste que je suis prêt à pardonner. Sérieusement, c’est divin... "Misunderstanding" est l’archétype du morceau pop super-sympa, sans prise de risque, mais là, franchement, on s’en fout, on se laisse faire, c’est si rondement mené... d’autant plus que la prod est top (c’est vrai, je ne vous ai pas parlé de la production : et bien, elle est top). Et ces mini-choeurs qui font « wou-hou-hou-hou », ça le fait vraiment ! Laissez-vous tenter... On terminera cette chronique sur "Man Of Our Times", où la fusion pop-prog se fait encore à merveille, le recherché rejoint l’accrocheur, les arrangements fouillés rejoignent une structure simple mais plus qu’efficace. Mention spéciale à la rythmique, implacable.
Et voilà, je suis bien embêté car je ne sais pas trop comment finir ma chronique... une décennie s’est écoulée, et la saga se termine (ou presque)... On pourrait dire que cet album est le dernier à posséder véritablement cette « Genesis-touch » qui les rendait si classes, si dignes... c’est un peu ça qui les mettait au-dessus des groupes progressifs des seventies ; ce style, qui ne versait jamais dans le pompier, qui servait d’abord et avant tout la musique... et on revient à la chronique de Trespass : la boucle est bouclée. Je finirai par m’adresser à l’homme (ou la femme, pas de sectarisme !) qui connaît un peu le prog, et qui a lu ces chroniques pour mieux savoir ce qu’était le Genesis de cette époque, car un de ses amis ou proches lui avait fortement conseillé le groupe ; c’est surtout pour vous que j’ai écrit toutes ces chroniques.
J’espère vous avoir suffisamment éclairé sur leur musique, leur style, vous avoir conseillé comme il le fallait ; peut-être avez-vous trouvé ça assez long par moments (je suis désolé ; c’est un de mes défauts !) ; en tout cas, j’espère que ce n’était ni barbant, ni trop sérieux. Et maintenant, n’hésitez plus : foncez chez votre disquaire et demandez-lui un p’tit Genesis, celui qui semble le mieux convenir à vos attentes. Et si vous avez d’abord baigné dans le Genesis période Invisible Touch ou I Can’t Dance, alors Duke pourra faire une excellente entrée en matière...