Brrrr.... il fait froid tout d’un coup, vous ne trouvez pas ? Le ciel s’est obscurci, se fait menaçant... drôle d’ambiance ! Le poème de Verlaine, les sanglots longs des violons de l’automne... vous vous souvenez ? Eh bien, ce disque pourrait en être la parfaite illustration. Un disque plus concentré sur les atmosphères, un disque automnal, et devinez quoi ? Encore une réussite.
A Trick Of The Tail avait prouvé à tous que Genesis pouvait survivre au départ de Gabriel sans perdre de sa superbe ; la tournée de 1976 allait le confirmer avec brio. Certes, l’aspect théâtral a été mis de côté ; exit les costumes et les maquillages ! Collins (portant à l’époque une barbe informe) privilégie le contact avec le public, et ne se gêne pas pour amuser la galerie (genre je sautille un peu partout ou je jongle avec mon tambourin) . En tout cas, ça marche, et on dirait même que le groupe est en osmose totale ! J’insiste sur le « on dirait »...
Car il ne faut pas se leurrer : dans le studio, c’est pas la joie. Enfin... cela concerne surtout une personne : Monsieur Steve Hackett, qu’on avait très peu entendu sur « A trick... » et qui commence à se demander si on ne se fout pas un peu de sa poire. C’est vrai, quoi ! Il a autant de potentiel et d’idées que les autres, mais on ne le laisse pas les exprimer ! La faute à qui ? Monsieur Tony Banks, assurément... qui n’a jamais eu beaucoup de sympathie pour le guitariste. Alors Steve rumine dans son coin... et prépare sa vengeance. Cet album, Wind and wuthering en sera le sceau. Indirectement, toutefois : si l’on s’en réfère aux crédits, sa participation aux titres est aussi moindre que pour l’album précédent.
Mais il y a ici une ambiance... torturée, claire-obscure, qui n’appartient qu’à lui. Mais qui, paradoxalement, est plus mise en valeur par les synthés de Banks que par la guitare... De là à dire que Banks pique les idées d’Hackett, il y a un pas que je n’oserais pas franchir... Et les deux autres, alors ? Rutherford, à la basse est, comme toujours, impeccable : peut-être encore plus qu’avant, je ne saurais dire... mais son jeu met vraiment en valeur les compositions. Collins assure une solide prestation vocale ; une voix plus fluette, plus timide que ce qui suivra ; mais on ne s’en plaindra pas, cela donne un ton presque naïf à cette œuvre crépusculaire.
Un penchant sombre qui s’affirme dès l’ouverture de "Eleventh Earl of Mar" ; motif inquiétant au synthé, basse ronronnante, cymbales sifflantes... puis guitare plaintive qui émerge de ce maelström automnal, avant de nous lancer dans la structure même du titre. Et qu’on se rassure : Si nos gaillards ont particulièrement soigné les atmosphères, ils n’ont pas oublié de composer d’excellents titres ; et bien à leur façon, comme on voulait que ce soit. On ne sera pas déçu : ce titre se place à la hauteur des classiques de la période Gabriel. Tout comme "One For The Wine", qui voit encore triompher Banks, lors de passages mélancoliques de toute beauté... avant que ça se réveille et que l’horlogerie s’active, pour un pont monumental, qui sera développé dans l’instrumental furieux "Wot Gorilla ?", l’un des meilleurs représentants de l’atmosphère régnant sur le disque. Avant ça, il faudra se farcir un "Your Own Special Way" pas désagréable, mais assez somnolent... ronflant, même ; l’attention se relâche quelque peu. Le pont est particulièrement assommant...
"All In A Mouse’s Night", comptine qui aurait pu être narrée sur A Trick... mais qui aurait perdu un peu de son sens. Atmosphère, atmosphère... oui, on y revient souvent ! Mais que voulez-vous, c’est pas de ma faute si c’est ce qui prédomine sur ce disque... on finit l’histoire sur un merveilleux solo du sieur Hackett. Le revoilà à la guitare sèche pour "Blood On The Rooftops" le temps d’une intro toute en finesse, simplement parfaite. Elle restera présente tout le long du titre, se mariant harmonieusement avec les claviers. Refrain mélodieux, qui tire vers le lyrique ; ambiance british... un titre précieux, superbe.
Quant au triptyque final, il résume à peu de choses près tout ce qu’on a entendu jusque là ; entrée lugubre, trouble, chargée de brouillard... les synthés semblent imiter les murmures plaintifs du vent ; les feuilles volent, et nous sommes seuls, face à cet arbre dégarni, alors que le ciel menace de gronder... ce qu’il finit par faire ; les éclairs zèbrent alors l’horizon, et les bourrasques de vent nous emportent on ne sait où ; on cherche à s’enfuir, mais c’est inutile ; nous sommes dans ces cauchemars où nous courons à perdre haleine sans pour autant avancer, alors que la menace s’approche de nous et que la brume s’épaissit ; et lorsque tout espoir semble perdu, un halo de lumière...
Les nuages disparaissent, nous voilà à la recherche de l’âme sœur... voici "Afterglow", merveille de beauté et de simplicité, qui prouve, une fois de plus, que Genesis pouvait faire des tubes sans tomber dans le putassier, et même leur conférer une majesté qui fait les grands titres. Après ça, plus rien ne serait vraiment comme avant ; car ce titre ne referme pas seulement un superbe album, mais aussi toute une ère, qui les avait vu accéder au sommet. En effet, une pièce du quintet devenu quatuor s’apprête à partir, emportant avec elle un peu de cette magie, qui les rendait uniques... la vengeance est, hélàs, accomplie.