Salut aubergiste ! Sers-moi donc un truc à boire. Pas un de tes trucs de gonzesses aromatisés au miel ou à la cerise, un vrai truc de bonhomme ! Je m’en fous des arômes de fruits secs ou de copeau de bois, je veux que ça arrache, que ce soit bien raide, bien con et bien direct ! Tu as quoi pour moi ? Grave Digger ? Ah, ça a l’air pas mal, mets-m’en un de ta dernière cuvée, et que ça saute !
On peut l’annoncer de suite : cette chronique (qui sera très enthousiaste) s’adresse essentiellement aux amateurs de heavy metal allemand. Tous les autres risqueraient d’être déçus à l’écoute de cet album. Car ce nouveau Grave Digger est bon. Très bon, même. Mais pour l’apprécier, il faut adhérer aux préceptes de base qui régissent la carrière des teutons depuis plus de trente longues années maintenant. Ceux d’un heavy metal que d’aucuns qualifieraient de « bas du front », de « simpliste », voire de « débile » pour les plus taquins d’entre eux. En effet, la formule est quasiment la même sur chaque album. Des riffs qui tatanent la gueule, de la double grosse caisse à fond les ballons, des hymnes et des refrains que l’on imagine repris par une foule équipée de nuques longues, ivre à la bière, dans une salle obscure empestant la sueur et la virilité. Ça et le chant de Chris Boltendahl. Ce chant qui peut rebuter, tant il semble dépourvu de talent et de musicalité. Certes, mais il est puissant, couillu et tellement reconnaissable qu’il en devient indispensable à la musique du groupe.
Si la formule est la même, qu’est-ce qui fait que Return Of The Reaper est si bon comparé aux précédents qui, de l’avis des fans les plus chevronnés, n’étaient quand même pas fantastiques ? La réponse est simple : la bande à Chris est totalement décomplexée, et semble ne pas se prendre au sérieux un seul instant. Et c’est ça qui le rend excellent ! Les derniers albums tentaient de jouer à nouveau la carte historique, avec ses thèmes écossais, guerriers, voire mystiques, un peu pompeux, pour essayer de renouer avec la fameuse trilogie médiévale à la fin des années 90. Ici, il n’en est rien, et on le comprend très vite. Après une petite introduction cliché au possible, sur fond de Marche Funèbre de Chopin qui se termine par des grosses guitares sur fond de hurlement, on attaque par le très direct "Hell Funeral". Riff parpaing dans la gueule, refrain ultra direct, structure simplifiée à l’extrême, paroles qui ne peuvent pas être sérieuses si l’on y réfléchit un peu (« The reaper is back with angels of black, Hell´s bells hell funeral »)... Et tout l’album sera comme ça ! Débridé comme jamais, le groupe n’essaie pas de se voir plus beau ou plus grand qu’il n’est réellement. Il fait du metal allemand et il le fait ici redoutablement bien.
Le début de l’album est un enchaînement de tubes dont beaucoup ne pensaient plus le groupe capable. "War God" et son refrain simpliste cher à notre confrère Kroboy (deux mots répétés à l’envi), "Tattooed Rider" (peut-être l’un des morceaux les plus accrocheurs de leur carrière), "Resurrection Day"… Sur chacun des titres, on trouvera quelque chose qui attire l’oreille. L’intro atypique de "Season Of The Witch" à la basse qui fait forcément penser à celle "Home" de Dream Theater avant d’enchaîner sur un mid-tempo très accrocheur bien que classique. Sur "Grave Desecrator", l’un des hymnes de l’album, dont la mélodie vous accrochera un moment. Et sur "Dia De Los Muertos", la cowbell et le refrain en espagnol avec un accent à couper à la tronçonneuse n’auront de cesse de vous accompagner après l’écoute. Le seul bémol sera le fait que les soli d'Axel Ritt, parfois peu pertinents, manquant un peu de ventilation capillaire et de prise d'appui pédestre au niveau des retours, pour paraphraser mon vénérable confrère Dupinguez. Ça, et la dispensable ballade située en toute fin d’album, mais vous êtes libres de la zapper et de revenir au début ! Vous en conviendrez, ça fait quand même peu de défauts, par rapport à l'immense dose de quiphe que vous allez prendre, non ?
Vous l’aurez compris, Grave Digger a pondu avec Return Of The Reaper un excellent album. Mais comprenons-nous bien, il s’adresse essentiellement aux fans de heavy metal, voire aux fans (encore plus rares) de heavy metal allemand. Le groupe a réussi à se libérer de ses ambitions de faire autre chose que ce qu’il fait le mieux, à savoir des morceaux accrocheurs, bien écrits, qui ne se prennent pas au sérieux. Comme a dit Archimède ou Moïse, je ne sais plus, « Le heavy metal est une musique qui se joue à quatre ou cinq, et à la fin ce sont les allemands qui gagnent ». À méditer !