Après avoir brillamment refermé la parenthèse nostalgie avec le majestueux Live In Sao Paulo, épilogue de la série des Keepers, Helloween n’avait guère le choix : il lui fallait faire preuve d'un minimum d'audace, sous peine de passer définitivement pour un groupe à la traîne, roi déchu de son trône tentant de se raccrocher aux branches de son glorieux passé. Gambling With The Devil arrive tôt, très tôt ; mais les différences avec The Legacy sont notables. Reste à voir si cet effort est structurel ou bien uniquement superficiel.
On peut affirmer d’emblée qu’Helloween durcit le ton. Cela est plus imputable à la production qu’aux chansons elles-mêmes, mais les guitares sont coriaces et acérées, et plus présentes que jamais. "Kill It" nous refait le coup du "Push", ouvreur de Better Than Raw, avec force rythmiques bétonnées (le riff de "Be Quick Or Be Dead" n'est pas loin...), refrains bourrins et voix suraiguës agressives. La surprise est donc en demi-teinte ; mais ce titre nous confirme la facilité avec laquelle le groupe peut devenir méchant, registre où on ne l’attend pas forcément. "Paint A New World" et "The Bells Of The Seven Hells" décrochent également une bonne place sur le podium de l’agressivité : le premier est puissant, percutant, prometteur de bons moments en concerts. Le deuxième va chercher la ligne de basse lourdaude d'"Occasion Avenue" et un bon vieux riff thrashy. Blindés de parties instrumentales particulièrement soignées, les titres les plus durs de l’album en sont probablement les meilleurs, d'autant qu'ils ne sacrifient pas pour autant le côté joyeux que l'on apprécie tant chez les Allemands.
Le reste est composé de morceaux mid-tempo catchy, autre trait de personnalité incompressible du groupe depuis les Keepers, et de speederies tout à fait traditionnelles. Gambling With The Devil alterne les ambiances de manière pas bien finaude, et c’en est presque dérangeant : un titre speed, un titre mid-tempo, un titre speed, etc. En fin de compte, l’évolution n’est pas si marquée que cela. Pire, la seule perspective élaborée avec réussite par The Legacy, c'est-à-dire la construction de titres longs, riches et conceptuels, est totalement abandonnée. Dès lors, ce qui pouvait passer jusqu’à présent pour un subtil équilibre entre tradition et nouveauté, semble se décliner en position malhabile de musiciens ne sachant plus trop sur quel pied danser. Le temps de composition volontairement court a permis de livrer un album instinctif et direct : tel était probablement l’enjeu de Gambling With The Devil. Était-ce la bonne approche après le flash-back Keeper ?
On se consolera en constatant que l’ensemble de ces nouveaux titres reste bien au-dessus de la masse de morceaux anecdotiques que contient The Legacy, notamment en matière de soli. "Final Fortune" est ainsi un pur tube, simple et ultra-accrocheur, et même si la mélodie de "How Many Tears" y laisse une ombre insistante, rien n’est de trop, le duel de guitaristes est digne de la grande époque ; il y a longtemps qu’Helloween ne s’était montré aussi catchy et efficace dans la sobriété. "Can Do It" et "Fallen To Pieces" empruntent la même voie, et doivent beaucoup à la production et aux arrangements de Charlie Bauerfeind. Helloween sait que l’on attend d’eux de tels titres à chaque parution, et ils sont plutôt de bonne facture cette année. "The Saints", morceau héroïco-glorieux, ravira les puristes, de même que "Heaven Tells No Lies". Rien de révolutionnaire, mais un niveau moyen honorable, révélateur de l’expérience et du réalisme des Allemands. Malheureusement, demeurent quelques faux pas : "I.M.E.", rock n’roll plat et raté, et "Dreambound", speed idiot sans relief. Aucune valeur ajoutée.
Le changement est en fin de compte plus ou moins illusoire : cet album n’apporte rien de nouveau, mais mise au contraire sur la spontanéité. La prestation des musiciens est de grande qualité, en particulier celle d’Andi Deris, qui avec l’âge varie de mieux en mieux ses propos. Cependant Gambling With The Devil semble confirmer un triste pressentiment : Helloween ne sera plus capable, au mieux, que de pondre quelques morceaux sympathiques, mais plus jamais de grands albums. On a fait le tour de la question. Ceci dit en espérant que les citrouilles me fassent mentir…