L'album atypique par excellence... l'album de la discorde, le plus controversé depuis Chameleon, celui qui fera à terme imploser un groupe obligé ensuite de se reconstruire car il n'aura pas su assumer son changement musical jusqu'au bout. Un album schizophrène : deux styles, deux producteurs, deux directions différentes qui s'affrontent, deux camps qui finiront par se déchirer... Uli Kusch et Roland Grapow étant ensuite invités sèchement à aller voir ailleurs si on voulait bien d'eux, défi qu'ils relèveront en créant Masterplan. Mais aussi un album parsemé de touches de génie et qui laisse entrevoir un Helloween plus mûr, plus puissant et plus inspiré qu'il ne l'avait jamais été.
Helloween laisse tomber son approche légendaire du « happy, happy metal » pour laisser le côté sombre s'exprimer, il est vrai que ça pouvait faire sourire à la base. Mais quand les citrouilles recrutent Roy Z au son ça laisse présager le meilleur tant l'homme a prouvé qu'il sait faire sonner les légendes du métal (Dickinson et Halford en tête) et leur insuffler une nouvelle jeunesse. Un quiproquo plaçant à ses côtés un Charlie Bauerfeind bien plus classique dans son approche mais tout aussi doué, l'album s'annonçait intéressant... et l'énorme claque "Mr Torture" vient en premier lieu confirmer tout ça. Comme normalement avec deux pointures aux manettes le son est proprement gigantesque, mais c'est la facilité avec laquelle le titre réalise la symbiose entre l'Helloween traditionnel et une nouvelle orientation bien plus burnée qui épate.
Côté traditionnel : des paroles débiles et humoristiques, un refrain ultramélodique avec chant haut perché, un solo de shred et une mélodie de clavier entêtante... et de l'autre côté un riff éléphantesque en salve doublé à la grosse caisse et un chant mélodique agressif de Deris qui a rarement été aussi impressionnant. C'est LE titre qu'on a écouté en boucle sans jamais se lasser, ébouriffés d'entendre Helloween sonner aussi puissant tout en étant totalement reconnaissable. Puis le reste arrive, et le reste c'est un album complètement dichotomique qui alterne titres de speed mélodique et titres de heavy-metal sombre, "Mr Torture" (composée par un Uli Kusch survolté et techniquement bluffant, véritable machine de guerre sur cet album) étant la seule chanson à réellement jouer la carte de la synthèse.
Problème : les titres plus modernes sont indubitablement meilleurs. La patte de Roy Z est immédiatement perceptible sur un titre comme "Escalation 666" dont le riff sous-accordé surheavy et les harmoniques sifflantes rappellent diablement Accident Of Birth, et le même constat vaut pour "Mirror Mirror". Deris est toujours aussi balèze quand il se la joue maléfique, bien plus impressionnant que quand il s'escrime dans un registre power-heavy dans lequel il ne pourra jamais éclipser Michael Kiske. Simplicité et noirceur se lient avec brio dans ces titres : difficile de faire plus simple que l'octave et les gammes de "Sun Is Going Down", mais l'ambiance inquiétante du titre prend aux tripes. A part un "I Live For Your Pain" un peu plus faiblard, chaque titre « moderne » poutre méchamment et ils constituent l'excellente surprise de cet album.
Les titres plus traditionnels sont un ton en-dessous, à l'image d'un "All Over The Nations" qui sans être foncièrement mauvais n'apporte strictement rien à la sauce : le décalage avec les autres titres est trop grand et la chanson en elle-même ne rivalise pas avec les tubes passés. Ce constat vaut pour tous les titres de cette veine sauf un, j'ai nommé "We Damn The Night". La ligne de chant mortelle, le refrain et le chœur imparables ainsi le solo néoclassique totalement inattendu en font l'un des meilleurs titres de speed de l'ère Deris, le chant agressif de ce dernier permet de faire une fois encore le pont entre cette orientation plus traditionnelle et le « nouveau » style du groupe. Dommage qu'il soit seul dans son genre face à des titres bien fades pour la plupart... la ballade "If I Could Fly" de Deris se posant là dans le genre clichesque et plat.
Mais il est une pépite qui fait de The Dark Ride un album d'exception : le fabuleux morceau-titre. Cette très longue compo voit Helloween laisser éclater son talent et enchaîner les registres dans une approche progressive dont l'ambition rappelle le titre "Keeper Of The Seven Keys". Le refrain est totalement fou, les riffs se font tour à tour épiques, enjôleurs puis musclés, les claviers donnent au tout une autre dimension, et surtout Deris n'a jamais aussi bien chanté. Le talent du chanteur souvent décrié est ici insolent : il hurle, susurre, croone et atteint de notes parfois vertigineuses dans ce titre qui semble faussement s'arrêter au bout de cinq minutes pour repartir dans des soli d'anthologie. Perle de métal, "The Dark Ride" est un des meilleurs titres de la carrière d'Helloween et sa seule présence sur cet album laisse imaginer ce que l'avenir aurait pu être...
Cet album est donc un ovni total qui laisse perplexe tant les registres abordés sont variés. Le nombre de bombes est plus que conséquent mais on sent qu'Helloween s'est retenu et que la scission au sein du groupe a empêché ce très bon album (culte de fait) de passer au stade d'œuvre incontournable. Il reste aujourd'hui un opus qui a très bien vieilli et dont les titres plus atypiques restent extrêmement efficaces et prometteurs... mais cette orientation ayant été rejetée par les têtes pensantes Weikath et Grosskopf, Helloween a loupé l'occasion de se réinventer et il faudra patienter le temps d'un médiocre album de transition (Rabbit Don't Come Easy) pour retrouver avec le troisième Keeper Of The Seven Keys des titres vraiment bétons et dignes du groupe. Mais inutile d'avoir des regrets : mieux vaut réécouter "Mr Torture" en boucle...